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« Pourquoi les élèves sortent-ils du secondaire incapables de parler correctement le néerlandais ? »
Par Charlotte Hutin
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LESOIR.
Charlotte Hutin
Journaliste au service Société Publié le 21/09/2023 à 07:20 Temps de lecture: 5 min
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Selon le baromètre de langue Taalbarometer mené par la Vrije Universiteit Brussel (VUB) en 2018, seuls 7,8 % des Bruxellois francophones âgés de 18 à 30 ans maîtrisent le néerlandais. Ils étaient 20 % en 2011. Il faut dire qu’en Fédération Wallonie-Bruxelles, les élèves optent de moins en moins pour le néerlandais. A la rentrée 2022-2023 (dernier chiffre disponible), seuls 47,5 % des élèves francophones en Wallonie et à Bruxelles ont choisi le néerlandais comme première langue moderne dans le secondaire. Sachant qu’en Région bruxelloise, le néerlandais est obligatoire dès la 3e primaire, contrairement à la Wallonie, où il n’y a pas (encore) d’obligation du choix de la langue. Entre la pénurie de profs et l’hétérogénéité des classes, Pauline Degrave, professeure de didactique du néerlandais (UCLouvain), évoque les contraintes qui pèsent sur l’apprentissage de cette langue.
Est-il vrai que les francophones sortent du secondaire en étant incapables de parler la langue de Vondel ?
Il faut évidemment nuancer le terme incapables et regarder plus précisément ce qui se joue au niveau de la production orale. Un élève ayant suivi du néerlandais toute sa scolarité, à raison de quatre heures par semaine, devrait obtenir un niveau B1+ à la fin de l’obligation scolaire. Selon le Cadre européen commun de référence pour les langues, il est notamment attendu, avec un niveau B1, d’être capable de « prendre part sans préparation à une conversation sur des sujets familiers ou d’intérêt personnel ou qui concernent la vie quotidienne ».
Ce niveau est-il atteint à la fin de l’école secondaire ?
Actuellement, il n’y a pas d’épreuve commune à la fin des études secondaires en Fédération Wallonie-Bruxelles qui permet d’attester le niveau des élèves mais, de notre expérience, nous observons que des élèves arrivent bel et bien à atteindre ce niveau (et parfois à le dépasser). Nous sommes par contre trompés par nos attentes : on souhaiterait qu’après six ans d’apprentissage, parfois plus, les élèves arrivent à parler de manière très fluide, sur des sujets complexes, avec une très belle prononciation, et pouvant s’adresser à des locuteurs ne parlant pas une forme standard du néerlandais. Mais ce n’est pas le niveau visé.
Comment expliquer que certains n’atteignent pas ce niveau ?
L’apprentissage d’une langue est influencé par plusieurs facteurs. Prenons l’exemple du foot. Si un enfant commence ce sport et que tout son entourage lui dit que « le foot, c’est pas terrible », que son entraîneur n’est pas doué ou que l’enfant n’a pas confiance en lui, il ne va pas atteindre le but. Pour revenir au néerlandais, la Belgique francophone cumule de nombreux facteurs négatifs. La Flandre est évoquée pour sa politique, souvent négativement, plutôt que pour sa culture. Lorsqu’un enfant commence le néerlandais, au mieux ses parents lui diront que « c’est très utile, mais qu’eux n’y sont jamais arrivés », voire que « cette langue ne sert à rien, contrairement à l’anglais ». L’enfant arrive avec un a priori négatif vis-à-vis de cette langue. Les enseignants doivent dépasser de nombreux filtres, redoubler d’efforts pour susciter l’intérêt des élèves.
La motivation n’explique pas tout. Qu’en est-il de l’apprentissage ?
Déjà, si on compare le néerlandais à l’anglais, le premier est plus facile à différents niveaux : la conjugaison est plus simple, la prononciation diffère moins de l’écrit. Il est clair que la structure de la phrase et le vocabulaire sont compliqués, mais linguistiquement parlant, ce n’est pas plus difficile. Le francophone est tout à fait capable d’apprendre le néerlandais. Par contre, bien plus que dans les classes d’anglais, les enseignants sont confrontés à des niveaux très différents entre les élèves. Certains ont commencé en troisième primaire à Bruxelles, d’autres en cinquième primaire en Wallonie ou en première secondaire, et ce petit monde se retrouve dans des classes de 25 élèves. Or, pour apprendre, l’élève doit trouver un intérêt dans la tâche et une possibilité de dépassement. Idéalement, il faudrait leur donner plus de temps de parole et travailler aussi la prononciation. Avec de grosses classes, c’est un vrai défi. Et contrairement à l’anglais par exemple, la plupart des élèves francophones n’ont pas, ou très peu, de contact avec le néerlandais en dehors des heures de cours.
La pénurie de profs de néerlandais a-t-elle un impact sur le niveau des élèves ?
Inévitablement… La pénurie est telle que les cours peuvent être interrompus plusieurs mois. Les écoles sont contraintes de recruter des personnes qui n’ont pas été formées : elles engagent par exemple des gens qui ont simplement travaillé dans une entreprise flamande. La didactique en langue est de plus en plus passée sous silence. Pourtant, il vaut mieux quelqu’un qui n’est pas natif de la langue et qui a une très bonne maîtrise de la langue et de la didactique que des natifs qui maîtrisent parfaitement la langue, mais qui ne savent pas comment enseigner. Il faut absolument soutenir les enseignants engagés sans titre pédagogique en leur donnant accès à des formations continues.
Le gouvernement veut imposer le néerlandais pour toutes et tous dès la troisième primaire. Est-ce une bonne chose ?
La question de l’âge est toujours débattue. Il est plus facile d’apprendre une langue pendant l’enfance, mais des adultes parviennent à avoir un très bon niveau de langue étrangère malgré un apprentissage tardif. Par contre, afin d’assurer un continuum dans le parcours, éviter les classes hétérogènes, cette obligation est vraiment très intéressante. Actuellement, le choix du néerlandais ou de l’anglais comme première langue, de même pour les écoles en immersion, reproduit les inégalités socio-économiques. Ce sont les élèves de milieux plus favorisés qui choisissent le néerlandais et qui auront accès à certains postes par la suite. Imposer le néerlandais, c’est aussi contribuer à réduire les inégalités sociales. Le problème reste évidemment la pénurie d’enseignants.
Cet article répond également à Jean (Waterloo), Jef (Ganshoren), Elisabeth (Barcelone), Karin (Bruxelles) et Régis (Paifve), qui ont posé une question similaire.